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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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10 octobre 2011

Prisonniers

Texte écrit quelques jours après le début de la Révolution libyenne en Février 2011 et toujours d'actualité...

A mon amie d’enfance Abir G. de Tripoli.

Je n’oublierai jamais le timbre de ta voix étranglée. Tu as réussi à te faufiler, à déjouer les brouillages des lignes téléphoniques. Je sais que tu as dû essayer avec une patience acharnée. Des milliers de fois. Tu deviens folle. Internet est coupé depuis une semaine. Tu ne peux pas me le dire mais je le devine. Je vais bien. Les enfants ne vont pas à l’école depuis vingt jours. Mon mari travaille à peine quelques heures. On est devant la télévision. Bientôt plus du tout. Trop dangereux de sortir. Ils vivent terrés. Cloitrés. Comme des rats. Otages d’un mec qui a décidé d’aller jusqu’au bout de son délire. De sa folie. Quarante deux ans c’est interminable. Agonie lente. Il est toujours là. Le peuple libyen est séquestré. Enfermé. Dans des maisons qui sont devenues des cages. Barrées. Impossible de s’évader. Détention sans condamnation. Sans crime. Arbitraire. Les morts s’entassent. C’est fini pour eux. Délivrés. Je ne vis plus.  Nuit et jour. Minutes et secondes. Aliénée comme eux. Cloitrée. Attristée. Sombre. Abattue. Fusion totale avec mon peuple. Mon âme saigne. J’écoute en boucle la chanson emblématique de la Révolution. Je chiale. Saoufa nabka houna. On va rester là. Résistance. A mains nues. Démunis mais forts. Téméraires. Tous portés par cette même volonté. Etre libres. Sang. Odeur de morts. Blessés. Orphelins. Mères. Pères. Privés à jamais. Rires muets. Pleurs explosés. Larmes épuisées. Attente intolérable. Décisions lentes et compliquées des grandes puissances. Observateurs désormais complices d’un meurtrier en série. La peur. Terreur. Silence. Plus de mots. Le film se déroule en direct. Dans nos salons. Chaque jour un acteur prend la parole. Il joue le rôle qu’il s’est attribué lui-même. Pas de metteur en scène. Aucun scénario. Chacun s’approprie cette Révolution. Ils veulent tous être dans le cauchemar. A distance. Installés dans leurs fauteuils. Pathétique. Indigne. Arrogance d’un monde occidental sur le déclin.

Abir, mon amie de toujours. Celle qui a partagé les bancs de la maternelle. Les tables du primaire. Et les amoureux du secondaire. Celle que j’ai perdue pendant plus de trente ans puis retrouvée. Souvenirs tendres de nos disputes. De nos rires. A Nice. A Tripoli. J’ai encore le goût de ce café bu avec toi en mars 2010 sur une terrasse de la vieille ville de Tripoli. Balbutiements timides de cafés. La vie qui reprend. Anesthésie d’un peuple. Il continue à subir. Silencieux. Soumis. Heureux de revivre. Espoirs. Fatigués. L’ennui. Toujours bien incrusté. Facebook était pour toi ton terrain de jeux. Ta bouffée de liberté. D’oxygène. Ton défouloir. Le mien aussi. On se faisait des petits cadeaux à coup de Françoise Hardy et Dalida. Naïves. Peut-être. Gamines qui refusent de grandir. Histoires d’amour. D’amitié. Des mecs. Des nanas. Des ruptures. Des réconciliations. La vie. Juste la vie qui continue à battre.Cette vie que ce mec terrible est en train de voler à chaque libyen. Un par un. Zenga zenga. Ruelles ruelles. C’est devenu une chanson branchée. Elle ne me fait pas rire. A peine sourire.Quarante deux ans de torture ne fait plus rire. Elle fait hurler de désespoir. De douleur. Calvaire sans fin. Rage blessée qui n’en peut plus. Cris profonds des mères. Celles qui ont perdu un enfant porté, nourri, aimé, bercé, endormi pour toujours. Kidnappé si injustement par un seul mec. Mais quel est le nom de ce mec ? Je ne peux pas l’écrire. Il me fait trembler. De haine. De frayeur. Trop croisé le regard de mon père. Trop entendu ses hurlements. Trop vu ses larmes d’impuissance. Je ne veux plus me taire.

Abir, mon amie otage d’un mec que tu n’as pas choisi je suis là. A quelques milliers de kilomètres de toi mais si proche. Les jours de M. le maudit sont comptés. Il ira rejoindre dans les ténèbres ses semblables. Il se désintégrera tel un météorite. Nos mémoires mettront du temps pour l’oublier. En chacun de nous restera gravée à jamais cette cicatrice profonde. Balafre indélébile. La vie sera plus forte. Elle recouvrira nos peines et nos chagrins. Notre mer au fidèle turquoise et reflets argentés sera toujours là pour nous consoler. Ce sera notre rendez-vous. Prends nous s’il-te plait une grande et belle table. On sera plusieurs.

 

 

 

 


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