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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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28 février 2012

Un Beyrouth – Paris presque ordinaire

A l’amie qui se reconnaitra

J’ai découvert la business class d’Air France par hasard. C’est mon ami le dissident chinois qui m’a invitée. Je ne peux pas révéler son nom. J’ai promis de rester discrète. C’est Albert Nobbs en escale à Beyrouth. Il joue plusieurs rôles et change de tarbouche selon son humeur du jour. Albert c’est la Close déguisée en homme pour survivre dans un Dublin de la fin du 19ième. Typhoïde. Pauvreté. Misère.

Retour à la classe affaires. Je m’assois sur le monde parallèle. Je balaye d’un battement de cil les environs. Pas de voisin. Aucune promiscuité. Personne à frôler. Absence de frissons inconnus. Les microbes des nantis s’effleurent à peine. C’est le royaume du je suis seul et je suis heureux.  Mon voyage peut commencer sur l’autre galaxie. Le siège est magique. Hula hoop barbatruc. Voici venir les Barbapapa. Je suis totalement dépassée. Mon siège se règle dans des positions multipliées par quinze. Il y a même une option massage du dos. Je passe le Beyrouth Paris à faire des tests. J’ai le vertige. Ivresse d’une altitude égoïste.

Le ciel est beau et limpide au dessus des nuages. Paix et sérénité à l’ordre du jour. J’aime cette douceur qui caresse ma colonne aux vertèbres usées et fatiguées. J’oublie un instant. Les révolutions. Les guerres. Les dictateurs. Les morts. Les orphelins. Les veuves. Les miséreux. L’injustice. La bêtise. La vénalité.

Je suis dans l’espace intergalactique. Je plane. Je savoure. C’est donc cela le monde terrifiant des business men  en mission. J’ai le choix. Trop. Je zappe. Les films. Je veux tous les voir. Je lis en même temps. Parfois je prends des notes. La musique. Je ne peux pas consulter mon Iphone. Tous les aïe sont coupés. Impossible de dormir. Vivre comme si c’était la fin. Boulimie et compulsion aggravée. Etat de décomposition avancée. Le menu arrive. La table se cache. Imperturbable. Je la sors d’une main certaine et sans hésitation comme si j’étais née dans cet avion. Les serviettes sont blanches. Tout est immaculé. Propre. Le presque parfait. Les travailleurs ont le sourire bien accroché. Disponibles. Concierges de la stratosphère. Combien d’histoires à raconter et d’anonymes croisés ? A proximité il y a la zone tampon. C’est là que se tiennent les serveurs et serveuses du ciel. Ils apparaissent dès qu’on appuie sur le bouton qui s’éclaire. A l’arrière c’est la « economic class ». Celle des pouilleux qui voyagent en tongs. Compressés les uns contre les autres. Ils somnolent au rythme du moteur. Les croquants du 21ième siècle. Ils n’ont aucune chance de croiser le regard des vautrés du fauteuil XXL en simili cuir. Aucune raison non plus. A l’atterrissage chacun repartira dans sa vie en taxi, en RER, en train, en bus, à pied ou en voiture. Je suis inquiète. Les interrogations polluent mon territoire.

Je veux redevenir l’enfant naïf qui a soif de justice. Oublier le règne de l’argent. Du roi et de ses sujets. La course contre la montre. Le temps qui passe toujours trop vite. La cupidité. La méchanceté. Les calculs. La consommation fast food devenue monnaie courante. Satisfaction orgasmique temporaire. Tristes solitudes de nos sociétés en déshérence. Médiocrité ambiante et malsaine.

Je veux me souvenir de notre naissance. Nus. Livrés à un destin non choisi. Egaux à l’esquisse de vie qui s’offre à nous.

C’était l’histoire d’un vol entre Beyrouth et Paris un mois de février à peu près sans pluie.


 

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