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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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15 mai 2012

Ils sont là...

A mon amie Josiane la libanaise exilée dans cette Suisse presque sans faute…

Si proches. Seuls. A quatre sur ce rocher. A l’ombre du pin. Je les vois. Ils sont là. Ils discutent. Je suis curieuse. Oreilles dressées, j’essaye de capter quelques bribes imperceptibles. C’est la faute au vent capricieux. Il empêche les âmes perdues et amoureuses de se rencontrer. Parfois des regards croisés. Furtifs. Volés. Dérobés sur une route où ils ne font que passer. Passants du désespoir. Nomades chassés. Locataires de poubelles abandonnées. Assis sur les fantômes des maisons inachevées. Errants. Volatiles. Sans l’avoir choisi. Destins effarés. Terrifiés. Echappés. Un feu de bois. Une marmite. Ce n’est pas un pique-nique improvisé. C’est une cuisine en cavale. Violée. Eventrée. Effrayée. Instinct de survie dans une jungle tragique. Un enfant de quelques mois s’amuse. Il attend. Une dame emmitouflée le surveille. Ils n’ont plus rien. Ou presque. Débris d’une dignité bafouée. Eclatée. Explosée. Des miroirs de vie brisée. Citoyens d’une terre qu’ils n’ont pas choisie. Ils se cachent. Sur des chantiers. Abris improbables. Linge dansant sur un fil électrique suspendu. En attente. Combien faudra t-il encore de morts et d’orphelins ? Sommes-nous si misérables dans notre détresse nous les arabes ? A quelques kilomètres de là, Beyrouth la belle s’amuse. Zaitunay Bay, l’insolente flirte avec les rafiots aux chiffres indécents. Alignés les uns à côté des autres. Soldats sages et dociles bétonnés à quai. Séance de bronzage intensive. L’été se prépare. La musique s’échappe bruyante et assourdissante. Elle anesthésie les cerveaux et apaise les esprits tourmentés. Les mémoires aussi. Vivre. Courir après ce temps perdu. A l’enfance escroquée. Je pense à mon amie Josiane. Exilée en Suisse. A sa vie. Une libanaise. Comme des milliers. La guerre. Elle ne sait pas si un jour elle l’aimera à nouveau ce pays. Elle gardera comme souvenir l’Arabe. Cette langue difficile et honteuse oubliée sur un quai de gare. Elle le parlera à ses petits nés en terre Helvétique. Ils lui répondront en français. Josiane humble et digne. Il n’y avait pas de téléphone portable au Liban des années de malheur. Celui qui partait le matin laissait derrière lui des cœurs inquiets. Elle me raconte son Liban à elle. Celui des familles éduquées. La douceur de vivre. L’insouciance. La vie. L’espoir. Le ciel bleu. Les arbres en fleurs. Les roseaux sauvages. Les odeurs de jasmin. L’école. Les chevaux. La mer. Le tremblement de guerre. Celui qui détruira son adolescence. Un zapping mal élevé. Sans télécommande. Et l’amour rencontré. Comme sans hasard. Un syrien exilé comme elle. Battements de vies. De larmes rallumées. La solitude. Les amis. Les débats enflammés. Les rires. La vie. L’amitié. Un pansement provisoire. A nos blessures. Nos cicatrices. Aux enfants invités dans nos ventres et expulsés à terme. Pulsion sauvage et animale. Trois petits. Loin de ce Liban. Je suis là. A ta place que je ne comprends pas. Je navigue à vue. J’oscille entre ce Levant au parfum familier et celui plus frelaté un brin pollué. Je ne sais plus. C’est comme la chanson dramatiquement triste de Warda. Hikayti maa al zaman. J’écoute son amie Fairuz. Habbeytak Bessayf. Elle me plonge dans un désarroi chaloupé et meurtri de ce Moyen-Orient torpillé. Ignoré. Maudit. Comme si une vieille sorcière frustrée lui avait jeté un sale sort. Nous avons tout. Et pourtant rien. Ou presque. Juste quelques notes brûlées échappées d’un vieux gramophone abandonné…

Tahani Khalil Ghemati

Beyrouth le 15 mai 2012

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