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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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30 mai 2013

Comme si de rien n’était

" L'indifférence est une paralysie de l'âme. " Anton Tchekhov

 

Il a l’habitude de passer tondre les petites pelouses des terrasses. Il s’appelle Abou Ahmad. Humble et souriant. Toujours un mot ponctué d’un brin d’humour. Alors comment vont les enfants ? Ils vont très bien Madame, merci. Le huitième vient de débarquer annonce t-il sans perdre son beau sourire. Horrifiée, je lui dis : mais il faut s’arrêter là, ce n’est plus gérable. Il éclate de rire. Que du bonheur, je vous dis. La bourgeoise aux deux enfants finit par s’esclaffer elle aussi. Ils n’habitent pas ici. Ils sont dans un village syrien à la frontière irakienne. Mais là-bas, il y a aussi la guerre non ? Pas du tout, c’est très calme. Je suis rassurée et confortée. La vie peut continuer insouciante et légère. Ils vont bien c’est l’essentiel. C’était il y a un an.

 

Jeudi 30 mai 2013. Beyrouth, 8h00 du matin, 28 degrés. Je scrute la piste de l’aéroport. La tour de contrôle et la mer sont encore là. Soulagée, je me retourne vers les collines du Metn qui ont disparu dans la brume de la chaleur écrasante. Les herbes folles sont déchainées et je me dis que c’est le moment de rappeler Abou Ahmad. Depuis que je suis retournée vivre en méditerranée, c’est mission difficile de commencer une conversation téléphonique en allant droit au but. Il faut demander des nouvelles de tout le monde même si on est pressé ou de mauvaise humeur. Cela fait partie des codes. Parfois, cela peut durer de longues minutes. En Europe, ils appellent ça des salamalek. Et les enfants ? Ils vont bien grâce à Dieu. Silence pesant. Mais ils sont ici n’est-ce pas ? Je les aperçois de temps en temps à travers la grille du jardin. Oui, ils sont là. Et l’école ? Deuxième silence.Je repense à mes petits ce matin en partance bruyante.A mon fiston qui, parfois ne veut pas y aller. Je tousse et je vais contaminer tout le monde maman tu sais. Non, je ne sais pas et tant que tu n’as pas de fièvre, il n’y a aucune excuse pour ne pas aller à l’école, point à la ligne. Ils sont malades vos enfants ? Non, Madame il n’y a plus d’école cela fait quatre mois qu’ils sont là. Une année scolaire de perdue. Silence ému. Silence colère. Silence impuissant. Silence spectateur. Une de plus. Une de trop. Que pouvons-nous faire ? Articule Abou Ahmad d’une voix enrouée de dignité. Je ne sais pas lui répondre. J’ai honte. J’ai envie de pleurer mais mes larmes ne lui rendront pas l’école de ses enfants ni son village ni sa vie éclatée. Je voudrais hurler mais aucun son ne sort de ma gorge nouée de nœuds d’injustices. Distante et perturbée avec en fond sonore una nave da guerra de Puccini, je lui demande. Alors, vous pourrez venir quand pour la pelouse ?

 

 

Tahani Khalil Ghemati

 

Beyrouth le 30 mai 2013

 

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