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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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30 mai 2012

Le berger du parking de Sin El Fil

« Gervaise, péniblement, allait toujours, aveuglée, perdue. Elle touchait les arbres pour se retrouver. À mesure qu’elle avançait, les becs de gaz sortaient de la pâleur de l’air, pareils à des torches éteintes. « Emile Zola – L’assommoir-

 

Il est là. Personne ne le regarde. C’est l’homme translucide. Une méduse à encaisser l’argent qu’il reversera à son patron. Imperturbable au regard vide. Il arpente l’asphalte. Beau de jour. Il n’a plus de dents. Elles ont été rongées par l’infortune. Verrouillées. Le dénuement. La détresse à pas le choix. Je me gare. Librairie Antoine. Un cube noir échoué. Il abrite dans ses entrailles des milliers de pages griffonnées, pianotées, imprimées, livrées aux inconnus de passage. Couvertures aguichantes au dos caressé. Mots chantés. Vacillés. Anonymes. Amour du papier. De l’encre couchée sur nos mélancolies inconsolables. Sur nos énigmes de vies. Démasquées. A peine dévoilées. Bouleversées. Souvent façonnées. Transfigurées. Mensonges libres des lettres coulées. Larmes amères. Ecrire le bonheur. La tristesse. L’épuisement. C’est la guerre ou l’incertitude. Blanc ou noir sans nuance grisouille. Les souris ont quitté le navire depuis longtemps.  Je le cherche. Lui. Toujours fidèle. A répéter les mêmes gestes. Combien de millions révisés ? C’est le chef d’orchestre des bolides en quête d’abri. Il les range les uns après les autres comme des livres précieux. Une égratignure et sa déportation signée à coup sûr. Confirmée. Ce jour-là, il n’est pas là. En citoyenne presque parfaite je veux payer ma place. Je ne sortirai pas. J’attends. J’entrevois sa cahute tôlée. Un fil. Tendu. Comme nos vies. Lui. Sourire rêveur. Il pince le linge de ses chemises. Culottes. Serviettes. Ettore Scola s’est invité dans cette journée particulière. Marcello et Sophia dansent. Un petit tour et puis s’en vont. Je suis seule. Je clique la fermeture de ma serrure. Je marche. La lavandière a fini son travail. Installée en tailleur elle se repose. Je ne sais pas ce qu’elle voit. Peut-être un écran. Ou rien. Il habite un deux mètre cinquante par deux. Il a l’air heureux je crois. Je ne sais rien de lui. C’est l’homme puits. A la spirale tourbillonnée. Un sourire parachuté sur une terre démente. Ténébreuse et opaque. Culte de la mort. Des suicides surprise. Du malheur annoncé. De la destruction absurde. Je repense à Jean-Louis Trintignant au dernier festival de Cannes. Il a remis à l’ordre du jour Prévert. «  Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »

 

Tahani Khalil Ghemati

Beyrouth le 30 mai 2012

 

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