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N'oublie pas d'arroser l'olivier
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21 novembre 2012

Le vieil homme et le canari d’Alep

« Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. » Simone de Beauvoir

J’ai fini par m’arrêter au bord de cette route empruntée chaque jour. Il était là fidèle à son poste devant ses cages remplies de volatils frissonnants. Un vieil homme à barbe aux beaux yeux clairs et vifs. L’espace de quelques secondes, je l’ai imaginé en jeune séducteur dans un village quelque part dans ce Proche-Orient torpillé. Heureux en père entouré d’une ribambelle de rires et d’insouciances. Comblé en grand-père qui raconte des contes à ses petits enfants assis à ses pieds. Il observe en souriant la bourgeoise arrivant vers lui. Je lui parle en arabe celui où l’on détecte tout de suite l’appartenance sans être certain. Ce fameux dialecte qui sépare tous les arabes les uns des autres. Je suis Irakienne, Egyptienne peut-être Tunisienne. Ce n’est pas très net. Je prends l’accent Libanais chantant pour faire semblant. Mauvaise actrice, je finis par mélanger les pinceaux de nos malheureuses couleurs délavées chaque jour un peu plus. - Bonjour Monsieur. Que faites-vous là avec ces oiseaux en cage ? – Souriant il me répond. – Je les vends. Ce sont des canaris d’Alep. Perplexe, je lui redemande. – Des canaris d’Alep ? Et vous les vendez combien ?Deux pour trente mille livres avec la cage (Vingt dollars) et un seul pour vingt mille. Tu ne veux pas en acheter pour tes petits ? Ils seront contents et il chantera pour eux tous les matins. Sans hésitation, je lui réponds. – Non, les oiseaux n’ont rien à faire dans une cage. Je ne sais pas à cet instant si il me prend pour une vieille folle faisant partie d’une association de protection des animaux ou simplement une curieuse de passage. Il continue à me sourire. – Tu es pour la liberté toi. Oui, tes oiseaux n’ont rien à faire là et encore moins ceux d’Alep. Il ne me sourit plus un brin déstabilisé mais se reprend très vite. – Ecoute, achète moi un canari, celui de ton choix et relâche le. Ce sera une action digne pour toi. Et une bonne affaire pour lui ai-je pensé en silence. - Je suis d’accord mais c’est toi qui le relâcheras devant moi et on fera une prière ensemble pour la liberté et la paix. J’ai dissimulé mes larmes derrière mes Ray-Ban soudain devenues stupides et oisives. Le vieil homme m’a bénie et je lui ai demandé : - Savez-vous d’où je viens ? Je suis Libyenne. Vous connaissez la Libye ? – Non, mais Khadafi oui c’était notre frère a-t-il répondu en scrutant le ciel.  Je me suis glacée de fureur et de tristesse. Que pensait-t-il vraiment ? Je ne le saurais sans doute jamais. Je suis remontée dans ma voiture sous une salve de prières d’Alep. Et j’ai repensé à l’histoire qu’une amie Française m’a écrite il y a quelques jours. Au XIXe siècle, dans les mines de charbon, le canari était un détecteur de gaz toxiques et lorsqu’il s’évanouissait ou mourait, les mineurs s’enfuyaient pour éviter l’explosion imminente…

Tahani Khalil Ghemati

Beyrouth le 21 novembre 2012

 

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